Quelques mots un peu maladroits pour celui qui prenait la parole si facilement et était éloquent dans plusieurs langues.

Si chacun d’entre nous est ici n’est-ce pas parce que, d’une manière ou d’une autre, il fait un peu partie de la famille de Paolo ? Quiconque l’a côtoyé de façon intime faisait partie des siens. Il avait ce talent d’inclure celui qui venait à lui.
Nous voici tous embarqués dans une même histoire de familles – au pluriel : famille italienne, belle-famille belge, famille de musiciens, amis de la famille ou bien famille d’amis. Une même histoire chargée d’une multitude de souvenirs, où chacun retient les siens. Mes souvenirs font, j’imagine, écho aux vôtres.

Le guitariste de jazz qui, il y a 28 ans, était venu chez ma sœur avec une bouteille de Brouilly allait devenir mon beau-frère.
Les images se bousculent :
la vie quotidienne rue Rosart,
la naissance de Leïla vers qui tous les regards vont se tourner,
« le mariage de mes parents, comme Leïla le chantait, qui ne se fête pas tous les ans. »,
Nono et Nona que tout le monde appelle Nono et Nona,
l’Italie : Marotta, Sasso Ferrato, les Marches,
le mariage de Naïma et Laurent,
Paolo fier d’être lui-même grand-père à son tour.
En parallèle à cette histoire intime, il y avait évidemment les concerts, les jams, les tournées, les disques, les stages, les cours et encore la vie associative et politique…

Sur la trame de fond de ces évènements, de ces histoires, Paolo nous entrainait tous dans une conversation universaliste, allant du jazz, de la musique en général aux convictions politiques, de l’actualité à l’histoire, du football à l’art culinaire, des blagues grivoises à la littérature de Calvino,…

Nous pourrions tous développer ici une des facettes du personnage multiple qu’a été Paolo. J’ai envie d’en relever une, arbitrairement peut-être : sa passion pour la cuisine.
Que serait une histoire de famille sans repas en famille ?
Tous mes souvenirs de Paolo sont associés à des repas : j’ai l’impression que je pourrais les énumérer sans fin avec délectation. Paolo savait apprécier et nous faire apprécier à leur juste valeur ces moments où se nouent discussions, convivialité, complicité, où les liens familiaux précisément se tissent. Manger avec Paolo c’était bien plus que simplement se nourrir, bien plus qu’un plaisir gourmand ou même gourmet, c’était pratiquer un rituel symbolique, participer à un instant précieux où la saveur des aliments évoque la saveur même de la vie ensemble.

Et si apprécier la cuisine était un art ?
En tout cas, Paolo était artiste jusqu’au bout des ongles. Il avait en lui cette puissance d’évocation, ce talent de nous faire rêver.

Chez Paolo, il n’y avait nulle complaisance pour le drame, mais le souci perpétuel de ne pas s’abandonner à une vision tragique de la vie, d’en assouplir les aspérités. Sa musique est italienne par son aptitude à dissoudre toute gravité en légèreté. Dans sa chaleur, les obstacles et les résistances fondent, les frontières deviennent perméables, les transitions souples, la mélancolie douce.
La musique de Paolo nous aide à vivre notre rêve, à rêver notre vie ; elle nous endort en nous éveillant à la vraie vie, nous éveille en évoquant rêves et souvenirs.
Et bien sûr ces jours-ci les souvenirs remontent par nuées, les uns merveilleux, les autres drôles, féériques, malicieux, complices … tous à la fois beaux et aujourd’hui blessants, douloureux parce que tendres.
Mais, dans cette lumière d’hiver où les ombres s’allongent, la guitare de Paolo nous rappelle avec sagesse que « nous sommes faits de la même étoffe que les songes. »

Vincent Furnelle